Lettres de Mourèze

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Journée commémorative
Première lettre de Mourèze
     
    Hier, c’était le 11 novembre, fête française en mémoire de ceux qui sont morts et tombés durant les guerres mondiales. Cette date est celle de l’armistice de la première Guerre mondiale et elle compte aussi, comme le 8 mai 1945, parmi les fêtes nationales importantes de la France. Il s’est passé alors les faits suivants dans notre village. Deux jours avant le 11 novembre nous trouvions un petit document dans notre boîte à lettres. Monsieur le Maire invitait à se rencontrer devant la mairie et en l’ honneur des victimes de la guerre de se rendre ensemble au cimetière où une couronne d’honneur devait être déposée au monument aux morts en mémoire. Ensuite un apéritif dans la mairie était prévu. C’était la première fois cette année-là que nous recevions cette invitation. Elle n’était pas adressée personnellement, mais simplement et certainement distribuée dans tout le village par un employé de la mairie.
    « Nous ne pouvons pas y aller », dit ma femme la veille, « je ne sais pas comment l’expliquer, mais je pense que nous n’avons rien à y faire. »
    « Tu penses cela parce que nous sommes allemands ? »
    « Non, ce n’est pas ça. »
    « Moi, je pense que nous pouvons – que nous devons même y aller. En plus nous sommes invités. »
     « Tu ne me comprends pas. »
    Nous ajournons le problème au matin suivant. La rencontre est à onze heures trente.
    « Ce n’est pas une invitation personnelle, les documents sont simplement distribués dans chaque boîte à lettres », dit ma femme pendant le petit déjeuner.
    « Oui et puis ? Nous appartenons à ce village et nous nous en exclurions, si nous n’ y allions pas. »
    « Oui, mais c’est une journée nationale de commémoration française, ce n’est pas pour nous. »
    « Bien, on va demander à Sonja », proposai-je.
    Sonja est la Grande Dame du village, née en Russie, établie en France depuis la révolution d’Octobre. Une heure avant la rencontre ma femme se hâte  chez Sonja.
    « Sonja a dit que les invitations sont distribuées pour la première fois cette année, et elle a dit aussi que nous pouvions y aller. Mais tu sais que Sonja nous adore et qu’elle accepte tout ce que nous faisons. Je ne veux pas y aller. Bien sûr, personne ne dira rien, mais je ne trouve pas cela bien. »
    « Et moi, je ne trouve pas bien que nous n’y allions pas. Nous sommes des habitants de Mourèze, donc nous faisons partie de cette commune. »
    Silence.
    « C’est bon. Mais nous irons directement au cimetière, il est juste à côté de notre maison, pas à la mairie. »
    « D’accord », dis-je.
    Entre-temps il n’y a plus que dix minutes avant le début de la commémoration.
    « Allons », dit ma femme tout à coup, « viens, on va à la mairie. »
    Là nous rencontrons d’autres voisins. Dans un village de 112 habitants, on se connaît. Les salutations sont chaleureuses, notre maire vient alors.
    « C’est bien que vous soyez venus », dit-il. « Je crois que pour vous, Allemands, ce n’était pas facile de venir. Mais vous êtes des nôtres, et nous sommes heureux de vous voir ici. »

    Ça serait bien, pensons-nous parfois, si le monde était un village et si de plus il s’appelait Mourèze.

Madame Marcelle
Deuxième lettre de Mourèze

   Là, où commence dans le village la rue la plus basse, celle du Poète, là où elle longe le cimetière, pour mener à notre maison, se trouve un assez grand immeuble d’habitation, avec une petite estrade étroite allongée en façade, sur laquelle étaient posés  été après été de grands pots de fleurs de bégonias, soignées avec amour par Madame Marcelle, la seule habitante.
   Cette année, quand nous revînmes d’Allemagne après trois mois de vacances nous apprîmes que Madame Marcelle vivait maintenant en maison de retraite. A cause d’une jambe cassée, elle ne pouvait plus vivre seule dans sa maison. Il n’y avait donc plus de bégonias devant la maison, elle était vide et toutes les fenêtres étaient fermées.
   Voici quelques jours –Juin est arrivé entre temps– nous voulûmes faire des courses à Clermont l’Hérault, mais il nous fallut attendre avant de partir. Une grande voiture était en effet garée devant la maison de Madame Marcelle. Une voisine nous demanda de reculer un peu afin que la voiture puisse faire demi-tour plus tard ; Madame Marcelle était décédée dans sa maison de retraite et devait être placée, dans sa maison, dans son cercueil, l’enterrement était prévu pour le lendemain.
Malheureusement nous ne pouvions pas y participer ce jour-là et ma femme eut une idée qui enclencha un mouvement. Le jour de l’enterrement, nous achetâmes trois jolis bégonias, les plantâmes dans un pot, et y ajoutâmes une de mes cartes de poésie française accompagnée de quelques mots personnels :

                                             Les villages ont des maisons
                                                Les maisons ont des yeux
                                                         et des bouches

                                                       Elles te regardent
                                                             et parlent
                                                      de leurs habitants

   Pour vous ces bégonias,
   que nous ne pouvons plus dorénavant admirer devant votre maison.
   Gerlinde et Dieter J B

   Ce pot nous le posâmes sur la tombe en ultime salutation. Quelques heures plus tard nous rencontrâmes les deux filles de la défunte lorsque les conviés à l’enterrement prirent congé. Elles nous remercièrent par des mots très chaleureux.
Le soir même, quatre pots de bégonias –l’un était le notre – décoraient l’estrade devant la maison. Nos ouvriers du village les soignent depuis ce temps-là. Et même les volets des fenêtres sont rouverts.   

Des noms de rues
Troisième lettre de Mourèze

   Quand nous arrivions dans le village – il y a 27 ans – Mourèze comptait 84 habitants et l’église avait tout autant de chaises. Les rues n’avaient pas de noms et de numéros non plus. Et quand notre factrice était en congé elle donnait au remplaçant un petit croquis montrant l’enchevêtrement des rues, mentionnant les destinataires et où ils étaient à trouver à peu près. Ça fonctionnait relativement bien parce que le centre avec l’adresse postale « Le Village » n’a qu’un diamètre d’environ 110 mètres. Quand même nous devions apprendre qu’on peut s’y perdre et qu’on arrive toujours là où on ne veut pas arriver et ça sur des différents chemins.
   Entre-temps il y a GPS selon lequel notre maison est à 43° 37’09.85’’ dégrées de latitude Nord et 3° 21’25.16’’ dégrées de latitude Est. Mais ce n’est pas une vraie aide, si on doit livrer un colis dans une situation contre la montre.
Tout ça changera très bientôt. Au temps où le recensement – le deuxième dont nous participons – se déroule, il y a déjà des noms de rues et des numéros. Enfin on ne nous trouve plus sous l’adresse anonyme « Le Village ». Maintenant c’est unique : 10, rue du Four. Au but de cette rue, justement à côté de notre maison il se trouve le four communal.
   Notre maison – un « immeuble tour » avec trois pièces superposées – est vraiment très petite, mais en plus elle a quelques particularités. Par exemple elle dispose de deux entrées de deux différentes rues. Ainsi l’entrée principale 10, rue du Four mène dans la pièce du milieu ; la pièce d’étage en bas, dans laquelle la vie quotidienne normalement se passe, se trouve sur la rue parallèle. L’histoire de la maison est la raison pour cette particularité. Dans les siècles précédents elle était un habitat des chevriers. En bas il y avait l’étable, au dessus seulement une pièce. Encore aujourd’hui quelques voisins connaissent la « maison des chèvres ». La troisième pièce n’est pas construite évidemment avant le dernier siècle.
   La rue en bas qui n’est pas une vraie rue et qui au temps de forte pluie devient un torrent a maintenant aussi un nom : Rue du poète. Au but de cette rue, en face de notre entrée un petit chemin se serpente dans le cirque de Mourèze. Il y a des années que j’ai réalisé une idée sur la première quinzaine de mètres de ce petit sentier: Le petit chemin de la poésie. L’idée : Présenter a un endroit inhabituel littérature – ou ce que je prends comme littérature – accompagnée des sculptures conformes au sens de textes, pour faire discuter les lecteurs. Les premiers commentaires de nos voisins : « Qu’est-ce que c’est beau. Il y en aura encore plus ? » Ils m’ont encouragé de continuer. Et voilà, ce simple nom Rue du poète est pour moi un bien venu, qui me donne le sentiment d’être arrivé.
   A la fin il faut encore mentionner – c’est très important pour moi de le dire – que ce projet n’aurait pas pu réussir sans le soutien désintéressé des amis. Surtout je remercie Bernard Pauthier de Caen qui n’a pas seulement traduit mes phrases. Non, qui a transmis mes pensées et mes imaginations dans la langue de notre pays d’accueil afin que innombrables lecteurs et écouteurs de tous les âges les suivent, cœurs et yeux ouverts. Dans ce sens l’intéresse des visiteurs signifie mon petit remerciement à la commune de Mourèze.

Dieter J Baumgart

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