Une scène sur le marché

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von Dieter J Baumgart

     C’était à Pézenas, « Versailles du Languedoc », où nous l’avions vu la première fois. Dans le centre pittoresque, il était assis sur les escaliers de la cathédrale, produisant de petits bouquets d’immortelles et d’herbes sèches, à côté de lui, sur une grande couverture quatre chiens avec un air bien ennuyé... Nous causâmes un petit peu  et chaque fois que  nous visitons  Pézenas – surtout pour fouiller dans des magasins d’antiquités – nous échangeons quelques mots avec lui.
     Un  jour d’hiver, voilà que je le découvre tout à coup par hasard sur le marché hebdomadaire de notre chef-lieu. Dans l’allée de platanes devant l’ancienne gare, il a sa place entre les marchands de fleurs et offre ses petits bouquets.
     Trois chiens cette fois sont installés sur la couverture et semblent rêver de journées plus chaudes à Pézenas. Au fond sur un banc public on voit quelques matériaux, à côté un vélo plus très jeune, avec des porte-bagages devant et derrière, un véritable « camion » sur deux roues.
     Ma femme est déjà partie pour faire des courses chez les marchands de fruits et légumes. Je demeure là pour échanger quelques mots. L’intérêt des passantes n’est pas très vif, pense-t-il, mais à Pézenas sur le marché il n’y a pas de place. Les marchands sont tassés les uns près des autres. Et sous la cathédrale, c’est trop calme, il ne passe pas de touristes. De plus en raison du vent les gens ne sortent que si c’est absolument nécessaire.
     Les chiens lèvent leurs têtes, semblant partager cet avis – je pense – mais deux s’en vont,  d’une façon ciblée. Devenu curieux, le troisième, le cadet les suit.
     « Et alors, qu’est ce qu’ils  ont l’intention de faire ? »
     « Euh ! Ils auront découvert une chienne devant le café là-bas » et il les suit des yeux.
     Mais évidemment les chiens sont si fascinés par la chienne qu’on ne peut compter qu’ils reviennent. Et le maître s’inquiète. Il a raison. Je lui  propose d’aller chercher les fugueurs pendant ce que je fais attention à sa place.
     Après avoir hésité un peu, il est d’accord. Inopinément je suis souverain de trois bouquets, joliment préparés, de matériaux, d’une grande couverture à chiens et d’un vélo, bien vieilli. Et je ne peux pas dire que je me sens mal et bizarre. Dans mon habit hivernal et avec mon visage barbu, je corresponds bien au décor.  
     Cinq minutes et plus sont passées, pas de traces ni du maître ni des chiens ! Une jeune femme passe devant les fleurs et les arbres des marchands et s’approche délibérément de moi et de mes bouquets.
     « Bonjour », dis-je  lui adressant un sourire, « Vous êtes intéressée ? »
     « Oui, oui », elle me rend le sourire.
Elle regarde les trois bouquets et je lui demande d’en choisir un. Mais elle veut bien que je le fasse. Alors je lui propose celui qui me plaît le plus, et elle en est contente. Je me rappelle encore le prix et je le lui dis sans qu’elle l’ait demandé. Cinq euro, bien sûr, ce n’est pas une bonne affaire. Pour cinq euros, on peut boire deux grands crèmes. Un petit moment, la jeune femme hésite. Mais je n’offre pas un objet commun. Peut-être, espère-je, me trouve-t-elle sympa. En outre : deux grands crèmes sont vite oubliés à la différence de ce petit joyau. Ça ne me gène pas du tout. Je pense au vieux maître et je  renforce  encore un peu mon sourire engageant – avec succès.
     A peine deux minutes plus tard  les chiens en cortège autour de leur maître apparaissent. Je le reçois, en agissant  le billet de cinq euros  dans la main.
     « Voilà, j’ai vendu un bouquet. Cinq euros, n’est-ce pas ? »
     Il rayonne de joie, n’ose pas  le croire. « Qui était-ce ? »
     « Elle s’en va là bas », et je me réjouis avec lui.
     Mais elle a déjà disparu.

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