Rencontre

Bild von Dieter J Baumgart
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Plus de 20 ans se sont écoulés entre-temps, mais je n'oublierai jamais cet événement qui m'est arrivé comme si c'était hier. Autrefois mon père vivait dans un petit appartement qui faisait partie d'une résidence senior à quelques stations de bus de notre logement.
C'est un soir de fin d'automne frais, j'ai rendu visite à mon père et me mets en route vers 22h sur le chemin qui mène à l'arrêt de bus qui est situé à proximité de la résidence senior dans une rue latérale à l'écart. L'air frais me fait frissonner, à la lueur de la lune vaporeuse je reconnais une forme qui, la tête penchée, attend sur un banc à l'arrêt de bus.

« Bonsoir, » dis-je en passant, plutôt pour satisfaire à la politesse.
À vrai dire je n'avais pas l'intention d'entamer une discussion.

« Fermez-la sinon. »

« Excusez-moi, je ne voulais pas me foutre de vous. »
Intérieurement je me fige, tu ne dois l'irriter en aucun cas, voilà ce qui me passe dans la tête, fais toi invisible. Je vais au bord de la rue et regarde en attendant le bus qui, bien sûr, se fait attendre. Pendant des minutes, je ne bouge pas de l'endroit où je suis, le bus n'arrive pas. D'une manière volontairement détendue, je me tourne finalement vers la partie de l'arrêt de bus où est suspendu le plan des horaires et l'étudie sans reconnaître quelque chose. Pas d'autres passagers ne se trouvent là. La région semble abandonnée.

« Désolé »

« Je vous en prie » en réponse, sans quitter les horaires des yeux.

« Ce n'est pas une bonne soirée, c'est une soirée dégoûtante, dégueulasse… »

A présent je le regarde, il a sans doute tout au plus 18 ou 19 ans, un visage de jeune ouvert.

« Je ne voulais vraiment pas me moquer de vous. »

« Quel âge avez-vous ? »

« 58 ans. »

« Je vous aurais imaginé plus âgé... La barbe. Je vous aurais presque tabassé, mais un vieil homme et puis j'aurais finalement atterri en prison, ça suffit déjà…»

« Je vous en prie déjà en comprenant lentement la situation changée, oublions cela ! »
Il me regarde. Parler pensais-je il veut parler. Il a besoin d'aide, pas moi.

« C’était une journée dégueulasse, tous se sont acharnés sur moi, je suis le dernier trou du cul… Le contremaître... »

« De quoi s'agit-il ? »

« Je suis sur un chantier et aide maçon, j'enlève les dernières crasses quand les autres prennent congé pour le week-end. Et quand quelqu’un construit de la merde, c’est moi bien sûr. La semaine dernière j’en ai tabassé un – je vais perdre mon job c’est vraisemblable. Demain a lieu le procès... »

« Si je puis vous aider ! ? Je veux dire cependant, je ne suis pas avocat mais j’ai quelque expérience... »

« Personne ne peut m’aider. Si je me mets en rage, alors… »

« Essayez de vous apaiser. C’est une vacherie la façon dont ils agissent avec vous sur le chantier. Mais cela n’a aucun sens de vous mettre simplement à frapper. Vous devez vous ressaisir, comptez jusqu’à 20 et partez jusqu’à ce que vous … »
Je remarque qu’il sourit.

« Si seulement c’était aussi simple ! »

Au loin des phares émergent, le bus de ligne arrive. Je trouve une carte de visite dans ma poche.

« Appelez-moi, je souhaiterais vous aider si je le puis. »
Nous nous serrons la main, puis nous entrons dans le bus. Alors que je me prépare à descendre après deux stations, il est encore à la porte.
« Je vous souhaite bonne chance pour demain. Et – appelez-moi, si vous le désirez… »

Il acquiesce.
Je ne l’ai plus revu.