L'écho - Page 2

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en auberge – restaurant et tous les dépliants touristiques parlaient du célèbre écho. Et cet écho, il n’existait plus. Le conseil de la petite ville était perplexe et c’était bien la première fois de son existence. Le problème se trouvait à l’ordre du jour de chaque séance. Des spécialistes furent interrogés  mais ils disaient la même chose : «  L’écho est mort. Nous ne pouvons plus le ranimer. »
     Finalement un ingénieur du son eut la solution. Il proposa de construire un écho artificiel. « Mesdames et Messieurs » ainsi s’exprima-t-il devant l’assemblée municipale, « il est clair pour tous que nous avons besoin d’un nouvel écho.
     Nous ne pouvons pas faire de la publicité pour quelque chose qui n’existe plus. Avec ma proposition, je dédire transformer la misère en vertu. Le nouvel écho, s’il est fait selon mon plan, dépassera, et de loin, l’ancien. Les dernières installations techniques seront employées dans cette réalisation. Nous n’avons plus beaucoup de temps d’ici le début de la saison touristique mais d’après mes calculs nous pouvons avoir un écho pour l’été, et le monde entier nous enviera. »
     La proposition fut acceptée avec enthousiasme. Tous étaient soulagés et l’ingénieur du son obtint la charge de commencer séance tenante selon le plan. Peu de temps après les travaux de terrassement le long de la gorge commencèrent. Les bulldozers entrèrent frénétiquement en action sur le terrain, des arbres furent abattus, des fossés de plusieurs kilomètres furent creusés. Une nouvelle ligne électrique plus puissante devait être installée entre la petite ville et la gorge, car l’installation qui avait jusqu’alors alimentée l’auberge, ne suffisait pas pour la mise en service du nouvel écho. Le conseil municipal avait décidé, que ce nouvel écho devait être l’œuvre du siècle et le maire se voyait déjà en pensée sur un monument à sa gloire devant l’installation de l’écho qui était estimée du monde entier. Rien ne fut trop beau.

     L’âme de l’ensemble était constituée, comme le soulignait le maire d’une voix vibrante de fierté, d’un cerveau électronique développé spécialement pour la circonstance. Presque toutes les semaines, le conseil municipal au complet faisait son apparition sur le chantier, afin de se rendre compte en personne de l’avancement des nombreux travaux. Bottes de caoutchouc aux pieds, et casques vissés sur les têtes, les conseillères et conseillers arpentaient excavations et fondations, au milieu des pelleteuses et des bétonnières. On posait des canalisations, les murs s’élevaient sur les fondations. La palissade en bois tout autour du trou fit place à un mur en matériaux amortisseur acoustique, pour accueillir les microphones à haute performance qui avaient été prévus. Entre temps, de grands trous béants s’ouvraient dans les parois rocheuses opposées. Là devait être installé le système de haut- parleurs, protégé des intempéries. Ce que les visiteurs du mur diraient dans le micro, devait en effet leur revenir par ces haut-parleurs, avec une intensité maintes fois amplifiée et un effet d’écho électronique. Chaque semaine environ le journal local rapportait l’évolution de ce projet pharaonique et de la nouvelle technique, et même le ministère du Land compétent faisait l’éloge de l’initiative exemplaire de la commune qui créait de nouveaux emplois.
     Finalement, après cinq mois de travaux intensifs, le nouvel écho était installé et le comité de planification constata réjoui, que la date d’achèvement des travaux, grâce au beau temps qui se maintenait, pouvait être avancée d’une quinzaine de jours. Par un chaud dimanche de mai, le matin à onze heures trente, le maire de la petite ville déclara ouverte l’installation avec des mots soigneusement choisis et il espérait qu’ils seraient à la hauteur de l’événement.
     Il commença son discours par : « Mes chères concitoyennes et chers concitoyens », et celui-ci était retransmis à la télévision régionale. « Ce qui a été érigé en si peu de temps, vous ne le devez pas uniquement aux ingénieurs qui ont transformé tout leur savoir en technique moderne. Non, vous aussi, mes honorables concitoyens et concitoyennes, vous y avez contribué de façon essentielle grâce à vos dons généreux.
     Les chers concitoyens et concitoyennes et aussi les invités d’honneur applaudirent, émus et enthousiastes. « Ce qui a été réalisé ici », poursuivit le maire, « ce n’est pas seulement le remplacement de notre vieil écho. C’est un écho au plus haut degré de la perfection, une prouesse de la technique acoustique, un tournant dans le développement de notre commune en un centre touristique et de loisirs moderne ». Un tonnerre d’applaudissement éclata à nouveau. Suivit une description de la nouvelle installation, précisant que l’écho fonctionnerait été comme hiver grâce à l’utilisation de matériaux résistant aux intempéries et que pour favoriser le tourisme on avait renoncé pour l’instant à instaurer un droit d’entrée. Le discours se termina enfin par les mots « Vive le nouvel écho. » En prononçant le mot ‘écho’, le maire appuya sur un bouton et mit l’installation en marche.

     « Echo - écho - écho - écho - écho - écho - écho… » hurlèrent sans interruption les hauts parleurs. La commande électronique avait un faux contact et ne s’arrêtait plus. Le maire était sans voix. « Echo- écho- écho… » braillaient les hauts parleurs jusqu’à ce qu’un ingénieur déconnecte la commande centrale dans la cave de l’auberge. Silence de mort. Suivi d’applaudissements ….. ? Le soulagement se lisait sur les visages des invités d’honneur qui se dirigèrent finalement au son de la fanfare des pompiers vers l’auberge pour se restaurer de soupe aux pois et de saucisses.

     L’été amena les étrangers. Comme le maire l’avait prédit dans son discours, le nouvel écho était l’attraction touristique. Avant tout aucun autre incident technique ne fut à déplorer. Immédiatement après l’inauguration le conseil municipal avait constitué une commission d’enquête qui trouva rapidement la faute ; le bouton par lequel le maire devait allumer l’écho, était mal raccordé. Comme il n’était plus possible de trouver le vrai coupable, on renonça de commun accord à porter plainte contre l’entreprise de construction. En fait on craignait aussi que si l’incident était ébruité, il ne génère des réflexions fielleuses dans les communes voisines. Et ainsi les habitants de la petite ville étaient contents. L’écho fonctionnait, les touristes venaient et, avec eux, l’argent. On ne parlait plus du vieil écho. Les personnes âgées ne racontaient même plus leurs histoires où ils avaient vu l’écho. Car ce qu’on voyait maintenant, lorsque l’automne eut balayé les feuilles des arbres, c’étaient les fondations de l’installation des haut-parleurs. L’écho était installé dans une cave de l’auberge ; cela chaque enfant le savait.

     Pourtant maintes choses avaient encore changé. Auparavant les visiteurs patientaient auprès de l’ancien écho pendant des heures, puis ils l’entendaient, tout simplement. Maintenant le silence régnait, quand le brouhaha de la circulation touristique avait cessé. Le nouvel écho ne se tenait pas conversation. Il ne parlait pas non plus avec les voix de la forêt, de ses habitants, car personne ne lui avait donné cette capacité. Le soir, si par hasard pourtant quelqu’un s’approchait du nouvel écho, il n’y restait pas longtemps. De derrière le mur, équipé de microphones, se dégageait un relent qui était certes pendant la journée masqué par les gaz d’échappement des véhicules des visiteurs, mais qui le soir venu avait peu de chose à voir avec l’odeur de la forêt. Certains murmuraient : « C’est le vieil écho qui ne sympathise pas avec la nouvelle installation. Maintenant il se venge ! » - D’autres laissaient entendre :
     « Enfin, cessez donc avec vos histoires de fantômes. Vous avez versé pendant des années vos déchets dans la gorge, maintenant ce qui empeste c’est votre absence de réflexion, votre indifférence, vos aises pestilentielles ! »

     De nouveau, il y eut un coup de vent à la cime du vieil hêtre. Des feuilles se détachèrent des rameaux et pour nous deux, l’arbre et moi, exécutèrent une pirouette solitaire sur la glace grise.

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